IMPACT DU MOUILLAGE DES GRANDS NAVIRES EN MEDITERRANEE FRANÇAISE (1/4)
Posidonia oceanica, déesse de Méditerranée
“ Conscient des enjeux de protection de la biodiversité et particulièrement des habitats sensibles de la Méditerranée ainsi que des obligations internationales et européennes de la France dans le domaine de l’environnement, la préfecture maritime poursuit son travail de définition des règles de navigation dans les eaux maritimes françaises de la Méditerranée. Ce travail a été entamé depuis plusieurs années et fait l’objet d’une concertation étroite avec toutes les parties prenantes. Cependant pour pouvoir agir efficacement, il était devenu indispensable de pouvoir disposer d’un cadre réglementaire général définissant les conditions du mouillage et de l’arrêt des navires au large de nos côtes au travers de la prise d’un arrêté du préfet maritime. Au-delà du renforcement de la sécurité maritime, de plus en plus menacée par une multiplication des activités en mer, cet arrêté prend en considération la nécessité de protéger les habitats marins comme les herbiers de posidonie, qui subissent des dégradations croissantes en raison d’un fort développement du nombre de navires et de leur tonnage. Cet arrêté servira de socle juridique pour de futurs arrêtés locaux réglementant le mouillage sur l’ensemble du littoral. Ceux-ci seront préparés dans les prochains mois, en concertation étroite avec les acteurs maritimes, pour bien correspondre aux enjeux de navigation et de protection de la biodiversité. Le préfet maritime pourra néanmoins, en cas d’urgence, prendre des arrêtés rapidement là où la sécurité maritime et la protection de l’environnement le justifieraient. Un plan d’actions ambitieux comportant quatre volets, la connaissance et la surveillance environnementale, la réglementation, la mise en œuvre de mouillages organisés et l’information et la sensibilisation sera établi pour coordonner et suivre l’ensemble des mesures qui seront engagées en faveur de la protection des herbiers de posidonie.”
Le vice-amiral d’escadre Charles-Henri du Ché, Préfet maritime de la Méditerranée
POSIDONIA OCEANICA, Déesse de Méditerranée
La posidonie (Posidonia oceanica (L.) Delile) tient son nom de « Poséidon », le dieu des Mers et des Océans dans la mythologie grecque. C’est une plante à fleurs qui vit uniquement en mer Méditerranée (espèce endémique). Elle bénéficie d’une protection légale dans de nombreux pays méditerranéens dont la France où les herbiers qu’elle constitue couvrent 34 % des fonds sous-marins le long du continent et 66 % le long de la Corse entre 0 et 40 m de profondeur. Malgré les mesures de protection, les herbiers sont menacés par les activités humaines alors qu’ils nous fournissent de nombreux biens et services. Dans le bassin méditerranéen ils ont perdu 10 % de leur surface durant les 100 dernières années. En France, la perte en biens et avantages est évaluée à plus de quatre milliards d’euros chaque année.
Le mouillage des bateaux est responsable de dommages physiques sur les habitats marins sensibles comme les herbiers. Les données AIS (système identification automatique) permettent d’estimer cette pression subie par les habitats marins côtiers de Méditerranée française. Les chercheurs d’Andromède océanologie ont analysé ces données AIS afin de localiser et quantifier les zones subissant une pression de mouillage le long de nos côtes et estimer précisément l’impact sur les herbiers de posidonie.
Photographie de couverture réalisée par Laurent Ballesta (Andromède océanologie) en 2018 dans le cadre de “l’étude des effets de l’impact des ancrages de la grande plaisance sur les herbiers de posidonie de la Réserve naturelle des Bouches de Bonifacio” fnancée par l’Offce de l’Environnement de la Corse / projet GIREPAM / Interreg Marittimo
Une espèce « ingénieur » d’un écosystème incroyable
La posidonie est constituée de faisceaux de feuilles, de rhizomes (tiges rampantes généralement enfouies dans le sédiment) et de racines. La croissance horizontale des rhizomes est lente (quelques cm par an). L’enchevêtrement des rhizomes, des racines, des écailles (gaines des feuilles caduques) et du sédiment piégé dans les anfractuosités constituent la matte. La matte a un rôle important d’ancrage de l’herbier et de stabilisation des fonds marins.
(a) trois fruits dans l’herbier ; (b) fruit et graine de Posidonie (© Andromède Océanologie)
Durant l’automne, les feuilles mortes peuvent être emportées par le courant et rejetées sur le littoral où elles formeront par accumulation des banquettes qui protègent les plages et fournissent un lieu de reproduction et de nourrissage à de nombreuses espèces terrestres.
Banquettes de posidonie sur une plage en Corse
La posidonie constitue des formations végétales sous-marines appelées « herbiers ». Ecosystème pivot, l’herbier de posidonie est un des plus productifs au monde, aux rôles écologiques et économiques majeurs. Il abrite plusieurs milliers d’espèces : 20 à 25% des espèces animales et végétales connues en Méditerrané y sont observées.
L’herbier de posidonie abrite 20 à 25% des espèces animales et végétales connues en Méditerrané. 1 : spirographe (Sabella spalanzanii) ; 2 : poulpe (Octopus vulgaris) (© Andromède Océanologie).
Comme les récifs coralligènes ou la forêt amazonienne, les herbiers de posidonie concentrent une forte biodiversité.
Endémique de Méditerranée et strictement côtière
Les herbiers de Posidonie se développent le long du littoral méditerranéen entre 0 et 40 mètres de fond, cette profondeur variant localement en fonction de la luminosité et du taux de salinité de l’eau.
Posidonia oceanica est la seule représentante du genre Posidonia en mer Méditerranée, mais huit autres espèces sont présentes sur les côtes australiennes.
Il existe d’autres plantes à fleurs en Méditerranée : Zostera noltii, Zostera marina, Halophila stipulacea et Cymodocea nodosa sont les quatre autres espèces d’angiospermes vivant en Méditerranée. Posidonia oceanica est la plus répandue et forme l’écosystème à plus forte biodiversité.
• Disparité régionale
Depuis 2014, la localisation des herbiers de posidonie est précisément connue. Ils occupent 79 852 ha en Méditerranée Française (trois fois la ville de Marseille), avec de fortes variations selon les régions liées notamment aux différentes conditions hydrologiques. Entre 0 et 40 m de profondeur, l’herbier couvre 0,3 % des fonds en Occitanie, 33,5 % en Provence-Alpes-Côte-d’Azur et 66,2 % en Corse.
Recouvrement (%) des fonds sous-marins entre 0 et 40 mètres par l’herbier de posidonie dans chaque région de Méditerranée française
• Où visualiser la cartographie des herbiers ?
Les cartes au 1/10 000ème sont visibles en ligne sur la plateforme cartographique MEDTRIX (https://plateforme.medtrix.fr), projets DONIA et DONIA expert) dont l’accès est gratuit et ouvert à tous, mais aussi à travers l’application mobile DONIA®.
DONIA® est une application communautaire de navigation et d’aide à l’ancrage en mer sans impact développée par Andromède océanologie et l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse. Gratuitement téléchargeable sur les stores Android et Apple, elle permet à tout plaisancier, pêcheur, plongeur ou capitaine de yacht de se positionner par rapport à la nature des fonds et d’ancrer en dehors des écosystèmes sensibles (herbiers sous-marins, récifs coralligènes), dans le respect de la loi;
Le réseau de surveillance SURFSTAT, soutenu par l’Agence de l’eau RMC, a permis une actualisation récente des cartographies des habitats sous-marins entre 2013 et 2018 et la réalisation d’une carte de l’évolution globale de l’herbier à court et long terme en combinant les changements en limite inférieure (la plus profonde) et en limite supérieure (proche de la surface) à partir de photographies aériennes anciennes. Cette carte d’évolution de l’herbier ainsi que des analyses surfaciques sur l’herbier sont disponibles sur la plateforme MEDTRIX (projet SURFSTAT). On y trouve notamment un indice de régression de l’herbier et la comparaison d’indicateurs surfaciques sur l’herbier de posidonie entre 0 et 40 mètres de fond (10 métriques sont comparées à l’échelle des masses d’eau côtières).
La plateforme cartographique en ligne MEDTRIX au service des acteurs du milieu marin (scientifques, gestionnaires,agents techniques…) a pour objectif de faciliter l’accès et la consultation à des données de surveillance spatialisées de très bonne résolution tout le long des côtes méditerranéennes françaises et pour quelques zones en Atlantique, Italie, Tunisie, et Maroc. https://plateforme.medtrix.fr
La posidonie : une espèce protégée multi-services
Posidonia oceanica bénéficie d’une protection légale dans de nombreux pays méditerranéens dont la France. Elle joue un rôle essentiel dans le fonctionnement écologique de la Méditerranée et le bien-être des Hommes.
(© Andromède Océanologie)
Posidonia oceanica bénéficie d’une protection légale
Un nombre croissant de directives communautaires et de conventions internationales font référence aux herbiers de posidonie et protègent directement l’espèce Posidonia oceanica ou l’habitat qu’elle constitue. En France, la protection légale de Posidonia oceanica s’intègre dans le cadre de la Loi du 10 Juillet 1976 relative à la protection de la nature. Cette protection est officialisée par l’arrêté du 19 Juillet 1988 relatif à la liste des espèces végétales marines protégées : il est interdit “de détruire, de colporter, de mettre en vente, de vendre ou d’acheter et d’utiliser tout ou partie” de la plante.
Une espèce généreuse pour l’Homme
Posidonia oceanica forme un habitat qui contribue au bien-être humain. L’herbier de Posidonie est en effet le support de nombreux services dont nous profitons.
25 services écosystémiques rendus par cet habitat dont :
- Protection du littoral contre l’érosion
- Production d’oxygène
- Nurserie pour de nombreuses espèces commerciales de poissons et d’invertébrés marins
- Purification de l’eau par filtration
- Séquestration de matière organique et de sédiment dans la matte
- Bioindicateur pour juger de la qualité des eaux marines côtières
- Réduction du bruit des vagues
- Habitat d’espèces protégées
- Contribution au cycle des nutriments
- Source d’inspiration artistique
L’herbier de Posidonie est le support de nombreux services : approvisionnement en poissons, riche biodiversité, clarté et épuration des eaux, protection contre l’érosion côtière, atténuation de la houle, puits de carbone, production d’oxygène… (© Andromède Océanologie)
Mesures de protection directe des herbiers de Posidonie
En France :
1) Arrêté de protection de la posidonie (19 juillet 1988)
2) Décret d’application (20 septembre 1989) de la Loi Littoral du 3 janvier 1986
3) Loi du 10 juillet 1976
Conventions internationales et textes communautaires :
– Directive Européenne « Habitats » (21 mai 1992)
– Convention de Berne (adoptée en février 1996)
– Convention de Barcelone (adoptée en novembre 1996)
Une plante marine protégée… mais menacée
Les herbiers à posidonie subissent de nombreuses menaces dans toute la Méditerranée et ont déjà perdu 10 % de leur surface durant les 100 dernières années. Un travail d’analyse de près de 250 études (Marbà et al., 2014) a montré que quasiment tous les herbiers de posidonie de Méditerranée subissent des impacts physiques de diverses origines (aménagements côtiers, chalutage, mouillage, turbidité, érosion, rechargements de plages, etc.).
La valeur économique des services rendus par les herbiers de Posidonie en France a été estimée entre 284 et 1720 000 €/ha/an au minimum d’après trois études pour lesquelles la moyenne est évaluée à 580 928 euros/ha/an soit plus de 46 milliards d’euros par an au minimum pour l’herbier vivant (79 852 ha) en France.
Actuellement, 7 670 ha d’herbiers à posidonie morts (ou « matte morte ») ont été cartographiés le long des côtes françaises, soit une perte évaluée à 4,5 milliards d’euros chaque année.
Le coût de protection des herbiers de Posidonie le long du littoral français, représenté par la mise en place de mouillages organisés ou de campagnes de sensibilisation entre autres, s’élève à environ 4,8 millions d’euros par an, soit moins de 3/10000 de la valeur économique des services rendus par cet habitat (Boissery, données non publiées, dans Campagne et al., 2015).
Les herbiers sont, à l’échelle mondiale, l’un des groupes d’écosystèmes dont la valeur économique est la plus élevée : 3 fois plus que les récifs coralliens & 10 fois plus que les forêts tropicales (Costanza et al., 1997).
Le concept de « services écosystémiques » a émergé dans les années 1970-1990. Connaitre et comprendre les écosystèmes permet de soutenir et pérenniser leurs fonctions. En France, l’évaluation des écosystèmes et des services écosystémiques (Efese) est un programme initié en 2012 par le ministère de la Transition écologique et solidaire destiné à mieux connaitre l’état de la biodiversité et ses multiples valeurs. L’objectif est de construire des outils d’évaluation des services écosystémiques rendus par les différents types d’écosystèmes pour sensibiliser les acteurs aux valeurs de la biodiversité et éclairer les processus de planifcation nationaux et locaux de développement
Gwenaelle Delaruelle, Andromède Océanologie