EXPÉDITION GOMBESSA 5 : UNE RÉUSSITE SCIENTIFIQUE A L’HEURE DU PREMIER BILAN
Entre le 1er et le 25 juillet dernier, quatre plongeurs ont vécu confinés dans une « station bathyale », c’est-à-dire un système de caissons pressurisés permettant la plongée à saturation, et afin de sillonner la côte Méditerranéenne entre Marseille et Monaco. Leur seule liberté ? Sortir en scaphandre autonome quelques heures dans les profondeurs de chaque site sous-marin. Cette expédition scientifique dresse un état des lieux d’une vingtaine de sites sous-marins profonds et de leurs écosystèmes méconnus. A travers 31 plongées (400 heures de sortie au total), ils ont exploré les fonds entre -60 et -144 m pour réussir trois types de défis : un défi technique en plongée, un défi d’images et de sciences. En alliant pour la première fois la technique de la plongée autonome en recycleur et de la plongée à saturation à des fins d’exploration, des plongées libres de 3 à 4 h sans pallier de décompression ont pu être possibles. Ce temps long (en comparaison à une plongée classique) a permis d’étudier réellement les écosystèmes profonds en réalisant des protocoles scientifiques établis avec des partenaires de divers organismes de recherche français et étrangers.
Synthèse des protocoles scientifiques réalisés durant la mission Gombessa 5. Les organismes scientifiques partenaires : Alfred Wegener Institute à Bremerhaven (Allemagne), Andromède océanologie à Mauguio, Centro de Ciências do Mar à Faro (Portugal), Chorus à Grenoble, CEFE (UMR CNRS, Université de Montpellier, Montpellier Supagro, EPHE, INRA, IRD) à Montpellier, Centre Scientifique de Monaco (CSM) à Monaco, ECLA (UMR AFB, ONCFS, IRSTEA, USMB), IMBE (UMR Aix Marseille Université, CNRS, IRD, Avignon Université), HE2B, le laboratoire commun InToSea à Montpellier, le laboratoire Arago à Banyuls-sur-mer (Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer, CNRS, IRD, UPMC), MARBEC à Montpellier (UMR IRD, Université de Montpellier, Ifremer et CNRS), MIO (UMR Université Aix-Marseille, Université de Toulon, CNRS, IRD) à Marseille, REEDS à Montpellier, TETIS (UMR AgroParisTech, CIRAD, IRSTEA, CNRS) à Montpellier, STARESO à Calvi, l’université libre de Bruxelles (Belgique), © Julie Deter – Andromède océanologie.
A ce jour, un bilan peut être dressé des premiers résultats obtenus :
– Le mariage des deux techniques de plongée est une réussite et repousse un peu plus loin la limite des possibilités pour de futures missions d’études et de travaux dans la zone mésophotique jusqu’à 150 m. Aucun incident n’a été déploré.
– L’étude physiologique n’a pas décelé de bulles de gaz détectables chez les plongeurs. L’hydratation était constante et aucune déficience d’ordre nutritionnel pouvant altérer la composition corporelle n’était présente. L’inactivité du confinement s’est faite le plus sentir chez le plongeur à l’activité sportive la plus régulière avec une perte de masse musculaire de 1,5 %. Les aspects neuropsychométriques ont déjà démontré une très bonne résilience et adaptation au confinement de cette équipe de vieux copains ! D’après les mesures, ils étaient parfois objectivement fatigués et éprouvés par le froid mais de façon générale toujours alertes et efficaces. Les aspects respiratoires doivent encore être complétement analysés, mais aucune altération notable n’est visible. Les résultats de variation de microbiote intestinal sont attendus.
– A presque chaque plongée, des images (photos et vidéos) inédites ont été prises d’espèces jamais illustrées vivantes et dans leur milieu, ou des comportements animaliers inédits : l’anthias-perroquet (cf photo), la morue cuivrée, la cardine tachetée, les parades nuptiales des murènes, les accouplements et la ponte du calamar veiné (cf. photo) …
– Un inventaire des poissons présents sur six sites est en cours à partir de l’ADN environnemental extrait de l’eau prélevée de la surface jusque -120 m. Sur ces profils de profondeur, les variations de composition des communautés de poissons seront étudiées pour éventuellement mettre en évidence des populations particulièrement profondes d’espèces de surface (effet refuge des profondeurs) ou des seuils thermiques en deçà desquels certaines espèces ne sont plus présentes (effet physiologique). La composition des espèces présentes dans les habitats remarquables tels que les champs de laminaires ou les massifs profonds sera examinée afin de déterminer l’importance écologique de ces derniers.
A gauche : Thibault Rauby prélève de l’eau de la chambre benthique pour analyser son acidité (Ph), © Laurent Ballesta ; A droite : Jeroen, Centre scientifique de Monaco, montre au réalisateur Gil Kebaïli les 6 espèces de gorgonaires échantillonnées par les plongeurs, © Julie Deter-Andromède Océanologie.
– Une espèce (l’uranoscope) a été échantillonnée afin d’en extraire et séquencer son ADN pour compléter la base de référence qui permettra, à terme, d’identifier les 250 espèces de poissons côtiers de Méditerranée nord-occidentale à partir de leur empreinte génétique laissée dans l’eau.
– Dans un contexte d’été particulièrement chaud, le profil de température de chaque site a été enregistré. Les températures ont varié de 26,7 °C en surface à 13,8 °C au plus profond de la sonde de mesure (-197 m).
– Sur un des quatre sites Méditerranéens français connus pour abriter une espèce d’algue laminaire vivant uniquement en Méditerranée, un individu record de 3,5 m de long et âgée de 3 ans (la longévité supposée était de 2 ans) a été collectée à -75 m. La dispersion locale provient d’une reproduction sexuée et asexuée assurées en même temps par les mêmes individus. Des cellules ont pu être mises en culture pour étudier leur physiologie et leur croissance.
– Les modèles 3D de 6 massifs coralligènes ont été produits par photogrammétrie afin d’archiver leurs paysages mais aussi de les utiliser pour étudier la flore et la faune qui y vivent fixées et leur perception esthétique par les humains.
– Un dispositif d’écoute a été déployé et posé durant trois semaines sur un massif coralligène pour en réaliser la carte sonore (origine, intensité et diversité des sons biologiques émis). Associée au modèle 3D réalisé par photogrammétrie, elle permettra de tester un lien entre complexité de l’habitat, les sons enregistrés et la biodiversité présente.
-Du sédiment prélevé sur six sites entre -65 et -100 m est en cours d’analyse pour rechercher la présence de contaminants chimiques et organiques. En parallèle, les communautés (espèces et abondance) de macrofaune qui vivent dans le sédiment sont identifiées par une experte. La macrofaune est connue pour être indicatrice de qualité du milieu. Sur la base de la composition du peuplement échantillonné et des sensibilités connues des organismes identifiés, il est possible de définir l’état de santé du milieu. L’analyse de ces 6 peuplements augmentera les connaissances de l’état de santé du milieu dans la zone prospectée. Ces résultats pourront être comparés à ceux obtenus dans la même zone géographique mais à une profondeur nettement moins importante.
– Les flux de dioxygène (O2) et des gaz à effet de serre que sont le dioxyde de carbone (C02) et méthane (CH4) ont été enregistrés sur deux massifs coralligènes à -70 m : une faible activité de photosynthèse est décelée ainsi que l’émission de méthane. La mission a montré la faisabilité de ces mesures. Les données seront complétées par d’autres échantillonnages pour confirmer les résultats.
A gauche : Filtration d’eau de mer prélevée en profondeur pour en étudier les bactéries, © Julie Deter, Andromède Océanologie ; A droite : Julie Deter, directrice scientifique de Gombessa 5, prépare la sonde CTD avant son immersion pour effectuer le profil de température et conductivité de la colonne d’eau, © Régis Hocde.
– L’incroyable (par sa beauté et sa densité) population de corail noir d’un site au large de La Ciotat a été échantillonnée pour une étude génétique. Tous les individus pourraient être des clones.
– Cinq espèces de gorgonaires, parmi lesquelles le corail rouge, ont été échantillonnées sur trois sites jusque -120 m pour en étudier leur état nutritionnel et leur microbiote associé. On n’a en effet que très peu d’information sur les conditions physico-chimiques et biologiques qui permettent à ces gorgones de se développer en profondeur. En surface, des recherches ont montré que les gorgones et le corail rouge se nourrissent de plancton et de détritus biologiques emmenés par les courants. Ils ont également un microbiote associé assez stable, dominé par une dizaine d’espèces bactériennes présentes toute l’année. L’objectif recherché lors de la campagne Gombessa est de comparer les marqueurs nutritionnels et bactériens des gorgones profondes et de surface, afin de connaître un peu mieux la biologie et l’écologie de ces animaux en profondeur. Les échantillons sont actuellement traités au laboratoire avant d’être envoyés pour analyse dans un laboratoire équipé de spectromètres de masse mesurant la signature isotopique en carbone et azote des tissus des gorgones. D’autres échantillons devront être séquencés pour en déterminer la composition du microbiote.
Certains protocoles étaient déployés pour la première fois et la réussite de leur réalisation est d’ores et déjà en soit une vraie découverte. La comparaison des résultats obtenus avec nos connaissances actuelles en laboratoire ou sur des sites moins profonds permettra d’évaluer la qualité chimique et écologique de cette zone côtière profonde ainsi que les impacts des activités humaines.
Si l’expédition vient de s’achever, le projet ne fait que commencer car le traitement des données va se poursuivre en parallèle du montage d’un film de 90 minutes, l’édition d’un livre, le montage d’expositions et des conférences.
Nos partenaires scientifiques : Andromède océanologie, Chorus à Grenoble, CEFE (UMR CNRS, Université de Montpellier, Montpellier Supagro, EPHE, INRA, IRD) à Montpellier, CSM à Monaco, ECLA (AFB, ONCFS, IRSTEA, USMB), IMBE (Aix Marseille Université, CNRS, IRD, Avignon Université), HE2B, le laboratoire commun InToSea à Montpellier, le laboratoire Arago à Banyuls-sur-mer (Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer, CNRS, IRD, UPMC), MARBEC à Montpellier (UMR IRD, Université de Montpellier, Ifremer et CNRS), MIO (Université Aix-Marseille, Université de Toulon, CNRS, IRD) à Marseille, TETIS (AgroParisTech, CIRAD, IRSTEA, CNRS) à Montpellier, STARESO à Calvi, l’université libre de Bruxelles.
Dr Julie DETER, Andromède Océanologie